5.La douceur de Marie fut un baume sur le chemin du calvaire. Mais le corps du Seigneur est épuisé. Et voici qu’après la mère, vient l’ami. Celui que l’on a désigné pour être ami. Revenant des champs, Simon est désigné pour aider. Dépassant la représentation littérale de l’évangile de Luc, qui précise qu’il se plaça « derrière Jésus » (Lc 23, 26), Bruno Desroche a représenté un Simon qui embrasse la croix, avec ce geste admirable de la main qui vient toucher celle du Christ. Présence de l’ami. Qui marche avec lui et partage avec lui, un instant, le poids du gibet tandis qu’à l’arrière un bourreau des temps modernes immortalise la scène avec son téléphone portable. Garder le souvenir de sa propre iniquité.

8. Même au cœur de sa Passion, Jésus enseigne. Entendant les lamentations des femmes il se retourne, au prix de quelle souffrance, pour les admonester : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! » (Lc 23, 28). Elles sont venues, avec leurs enfants, assister à ce terrible spectacle, mais elles n’ont pas encore compris le sens de ce dont elles sont les témoins. Jésus trouve la force de leur expliquer, de les encourager à dépasser l’égoïsme de leur consolation pour entrer dans le repentir. C’est là le seul chemin, celui que nous devons tous emprunter. Pleurons-nous sur nous-mêmes ? Saisissons-nous combien toute la compassion du monde n’est rien si nous n’avons le repentir de nos propres fautes ? Les femmes, les enfants, se sont regroupés : ils sont devant Jésus, qui s’est agenouillé pour les enseigner : je livre ma vie pour vous.

« Méprisé, abandonné des hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, il était pareil à celui devant qui on se voile la face ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien » (Is 53, 3)

11. Jésus est crucifié. Sa chair est transpercée par les clous, même si, comme il le dira à sainte Catherine de Sienne : « Ce ne sont pas les clous, c’est l’amour d’abord qui m’a planté sur la croix ». Mais la chair du Verbe a bien d’abord été transpercée par les clous, avant de l’être par la lance du soldat. Puis la croix est dressée. Élevée. Un échafaudage de fortune sert ici d’appui aux bourreaux qui peinent : elle est lourde cette croix que le Christ a portée. Cinq hommes s’affairent pour hisser cet instrument du supplice qui va devenir le symbole des chrétiens. Ô Croix dressée sur le monde, par toi la vie surabonde. Sur cette croix, signe de notre espérance, « Jésus est plus haut, il est à la hauteur de Dieu parce que la hauteur de la Croix est la hauteur de l’amour de Dieu » (Benoît XVI). Pendant trois heures, Jésus va agoniser. Accompagnons-Le, dans cette lente agonie, pour apprendre, à son école, ce langage de la croix, « folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Co 1, 18)

12. Folie pour le monde que cet amour qui se livre. Ceux qui avaient suivi son enseignement, qui avaient vécu avec lui, comprennent-ils qu’en cet instant s’accomplit cette parole : « Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. » (Jn 10, 18). Le rideau du sanctuaire du Temple s’est déchiré. L’obscurité a recouvert la terre. Marie défaille et s’évanouit de douleur dans les bras des femmes qui l’ont accompagnée. Jean, l’ami fidèle, est là. Il vient de recueillir les dernières paroles de son maître. Il est devenu son fils et a accepté de prendre chez lui Marie, sa mère. Il serre contre sa poitrine le linge que son Seigneur a porté. Et il contemple ce corps défiguré qui est l’image même de l’amour. Ce corps dont le côté transpercé a laissé jaillir l’eau et le sang, la vie et l’Esprit. Marie, saint Jean, les saintes femmes ont-ils compris ce signe, ce double signe ? Leur cœur, meurtri, a-t-il été consolé ? Les mystiques et les théologiens nous apprennent que même abîmée dans l’une des plus grandes souffrances humaines qui soit, celle de perdre son Fils, Marie a espéré. L’eau et le sang sont le signe, visible, que cette espérance va bientôt s’accomplir dans la gloire. Que la foi est vivante. Toujours vivante. Même au creux de la mort. Que la croix est source de vie. Que la mort n’est donc pas la fin de quelque chose, mais le début de toute chose.

« Qui aurait cru ce que nous avons entendu ? Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ? » (Is 53, 1)

15. Car la mort n’est pas la fin, mais bien le début de toute chose, le Dies natalis. Pendant de longues heures, l’enfer a ricané, il a pensé triompher. Il s’est enorgueilli de chacun des coups, de chacune des souffrances, de chacune des blessures. Et Dieu s’est abaissé. Dieu s’est laissé outrager, torturer. Il s’est offert, en hostie vivante. Mais voici qu’après le mystère de la nuit et des ténèbres, vient l’allégresse de la lumière et du ciel. Le triomphe de la vie et de la foi. Le Christ est ressuscité. Ce « sacrement de la vie nouvelle » est une certitude. Mais comment représenter le Ressuscité ? L’Écriture ne nous dit-elle pas qu’il apparut « sous un autre aspect » (Mc 16, 12) ? Bruno Desroche fait le choix d’une nudité héroïque, où seules les plaies des clous et du côté sont visibles. Il s’attache aussi à traduire la soudaineté de l’événement, qui projette les gardes du tombeau à terre, dans l’aveuglement et la sidération. À la figure douloureuse de la Passion succède la figure glorieuse de la Résurrection qui exalte la calme majesté du Christ.